Éditorial : le piétonnier, projet pilote pour un centre-ville bruxellois durable et convivial !

  1. Cet édito introduit le Portfolio#2 « Zoom in | Zoom out on the Brussels Metropolitan City Center ». Le document complet est téléchargeable à partir du lien suivant : Portfolio#2
  2. Vous pouvez également consulter la feuille de route de l’année dernière à partir du lien suivant :  les 4 défis, 10 actions et 40 recommandations concrètes.

Sofie Vermeulen, Margaux Hardy, Aniss M. Mezoued, Eric Corijn & Michel Hubert

BSI-BCO

Plan

1.Introduction et bref rappel sur le projet du piétonnier

2. Zoomin sur l’état d’avancement du projet de piétonnier

3. Le BSI-Brussels Centre Observatory présente 8 nouvelles contributions

4. Le projet doit être intégré de manière visible

1. Introduction et bref rappel sur le projet du piétonnier

Au moment où nous rédigeons ces lignes (avril 2018), toute personne qui vit, travaille, sort, fait des courses ou passe dans le centre de Bruxelles a eu environ deux ans et neuf mois pour observer le fonctionnement du boulevard Anspach piétonnisé. Depuis juin 2015, nous avons également une idée plus précise de ce qui peut et doit être amélioré ou résolu, mais aussi des opportunités que cet espace de 58 200 m² offre à la vie bruxelloise maintenant qu’il a délaissé sa fonction d’axe principal de circulation pour traverser le bas de la ville.

Rien que par son échelle, le piétonnier est devenu un levier puissant – bien qu’encore latent – pour faire du centre-ville le moteur d’un changement de paradigme, vers une capitale de l’Europe plus durable sur les plans socioculturel, écologique et économique. Si cette vaste zone sans voiture, au cœur d’un centre-ville où règne une forte affluence, est développée dans le cadre d’un projet urbain bénéficiant d’un large soutien, que ce projet est par ailleurs correctement intégré dans les plans et accepté par les riverains, alors l’initiative portera en elle toutes les conditions qui permettront de faire centre-ville le centre de la métropôle bruxellois. Un tel choix implique forcément d’opter pour un imaginaire urbain (une certaine vision de la « ville idéale ») qui marque une rupture définitive avec le tout à l’auto d’autrefois [Genard et al., 2016 ; Vanhellemont, 2016]. La manière dont l’imaginaire de la ville convivial, cosmopolite et durable peut très concrètement se matérialiser est l’une des réflexions que nous menons au sein du BSI-BCO. Plutôt que de nous demander comment la zone piétonne peut contribuer à la région métropolitaine bruxelloise, nous pensons qu’il est plus intéressant d’interroger la façon dont une ville métropolitaine comme Bruxelles peut s’ancrer et se donner à comprendre dans le Piétonnier et le centre-ville en y programmant les types d’espaces publics, d’activités, d’événements, de commerces et d’identités qu’elle désire. De cette façon, la question devient : « Comment Bruxelles, ville cosmopolite au cœur de l’Europe, peut-elle endosser un rôle de pionnier dans ce changement de paradigme ? »

Reste bien sûr à identifier les conditions de base pour réduire des antagonismes socio-spatiaux très marqués et des dynamiques négatives, ainsi que pour les anticiper adéquatement au moyen d’une politique urbaine transversale. L’ensemble du projet n’est pas encore définitivement arrêté. Ceci offre par exemple une certaine latitude pour tester plus concrètement la façon d’utiliser au mieux l’espace public et d’apporter certains changements en cas de besoin. Entre le plan, sa mise en œuvre et son appropriation subsistent une série de questions pour lesquelles des décisions devront encore être prises [Corijn, Vanderstraeten et Neuwels, 2016].

Le BSI-BCO juge dès lors qu’il est urgent de ne pas se limiter à des solutions ponctuelles apportées à des difficultés rencontrées au jour le jour sur le terrain, mais qu’il faut, au contraire, commencer par définir une vision programmatique claire, et les options possibles et souhaitables pour le piétonnier dans le cadre du réaménagement de l’espace public dans l’ensemble de l’hypercentre bruxellois.


Bref rappel : le projet en quelques mots

Le « nouveau » piétonnier situé le bas de la ville de Bruxelles est l’un des projets urbains les plus ambitieux, mais aussi les plus complexes, mis en œuvre dans le centre-ville depuis plusieurs décennies. À l’été 2015, une grande partie du boulevard Anspach, principal axe routier de la zone, a été piétonnisé. Au même moment entrait en vigueur un nouveau plan de circulation pour le transport motorisé dans le Pentagone. La circulation automobile a été déviée, et certains trajets et arrêts de bus ont également été modifiés ou déplacés.

Désormais le tronçon piétonnisé du boulevard Anspach, entre la place Fontainas et la place de Brouckère, relie de facto les piétonniers qui existaient déjà autour de la Grand-Place, de la place de la Monnaie et de la rue Neuve. L’hypercentre, une zone touristique, résidentielle, économique et commerciale, s’est ainsi transformé en un espace destiné à l’expérimentation d’un système urbain potentiellement plus durable.

Le réaménagement de l’espace public – une surface d’environ 58 200 m² – conformément aux plans du bureau d’architecte et d’urbanisme SUM a aujourd’hui débuté, tout comme les travaux dans les stations de prémétro Bourse, de Brouckère et Anneessens. Ce projet est financé par Beliris, la Ville de Bruxelles et la Région de Bruxelles-Capitale (i.e. Bruxelles-Mobilité) [Hubert et al., 2017].


2. Zoomin sur l’état d’avancement du projet de piétonnier

Un an plus tard : même maître d’ouvrage, mais un nouveau capitaine pour la ville

Le projet a connu des remous en 2017. Depuis la publication de notre Portfolio#1 l’année dernière, il s’est passé beaucoup de choses. Depuis juin 2017, la Ville de Bruxelles est dirigée par un nouveau bourgmestre, Philippe Close (PS). L’arrivée de ce nouveau « capitaine » a été accompagnée d’une série de changements de compétences au sein du Collège des bourgmestre et échevins [1]. Ce remaniement communal a entraîné un repositionnement du piétonnier à l’agenda politique. Beliris reste, par contre, le maître d’oeuvre chargé des travaux proprement dits et de leur suivi. La Région (par le biais de Bruxelles Mobilité) poursuit les travaux qui lui incombent dans ce dossier, à savoir l’amélioration des accès aux stations de prémétro. Pendant l’été, plusieurs intervenants de ce dossier (riverains, commerçants et associations) ont été invités par le nouveau bourgmestre de la Ville de Bruxelles à exprimer leurs points de vue. Une série d’enjeux continuent néanmoins à faire débat, comme évoqué dans notre note de synthèse publié dans la revue scientifique Brussels Studies (voir plus bas et encadré).

Procédures de recours et début des travaux

Les premiers travaux préparatoires (équipements d’utilité publique et étanchéité) ont démarré à peu près en même temps que la phase de test du plan de circulation, c’est-à-dire à l’été 2015. Nombreux sont ceux qui ont alors pensé que le réaménagement avait débuté. Or à l’époque, les permis d’urbanisme correspondants devaient encore être validés : le premier permis concernait la zone classée par l’UNESCO autour de la Bourse et le deuxième les autres tronçons entre la place Fontainas et la place de Brouckère [Vanhellemont, avec Vermeulen, 2016].

Au terme de l’enquête publique de l’été dernier, six procédures de recours[2] contre les permis d’urbanisme ont été introduites auprès du Conseil d’État par quelques commerçants, par une série d’organisations de la société civile et par des particuliers. Tous demandaient des informations plus précises sur l’ensemble du projet, tant au niveau de son contenu que du calendrier (des travaux), une meilleure intégration du périmètre sans voiture dans une politique de mobilité globale, la réouverture de plusieurs rues à la circulation automobile. Quelques commerçants exigeant également une indemnisation de leur manque à gagner.

De ce fait, Beliris a reporté le démarrage des travaux. L’administration communale a traité les remarques et a introduit, à l’été 2017, une demande de permis modificatif auprès de la Région. Dans l’attente d’une décision du Conseil d’État[3], les travaux les plus importants ont démarré en septembre 2017 sur la place de Brouckère (Figure 1). Beliris a décidé que ces travaux ne se dérouleraient pas d’un seul tenant (pour l’ensemble du piétonnier), mais en trois phases, suivant trois marchés publics, focalisé sur trois périmètres, dits « tronçons » : 1) De la place De Brouckère — à la place de la Bourse, 2)  La Bourse, 3) de la place de la Bourse à la place Fontainas (incluse). Chaque tronçon est divisé en différentes parties dont le réaménagement ne suit pas forcément le même calendrier, notamment pour permettre une meilleure organisation temporaire de la circulation autour du chantier. Notons que le calendrier de toutes les parties n’a pas encore été défini[4].

La première phase des travaux de réaménagement des boulevards centraux s’est ouverte sur le premier tronçon entre la Place De Brouckère et la place de la Bourse(en orange sur la carte). Une partie des travaux a débuté fin septembre 2017 et s’est achevée sur la deuxième partie du tronçon entre la rue du Fossé aux Loups et la rue Grétry. Le bourgmestre, en commençant les travaux dans une partie de la zone seulement, a désiré donner, le plus rapidement possible, un aperçu – une sorte « appartement témoin »[5] –de la zone après son réaménagement. Le chantier de la première partie comprenant la place de Brouckère devrait s’achever, lui, fin 2018. La deuxième phase des travaux a démarré au niveau du troisième tronçon  en mars 2018, mais uniquement dans la partie située entre les places Fontainas (non incluse) et de la Bourse (en vert foncé sur la carte – phase 2bis). Le chantier de la place Fontainas (en vert) commencera vraisemblablement en 2018. Le second tronçon comprenant place de la Bourse et les petits tronçons des rues Paul Delvaux, Auguste Orts et Jules Van Praet (en fuchsia) constituent la troisième et dernière phase du chantier. L’étanchéité d’une partie du pré-métro y sera également refaite[6].

Figure 1. Récapitulatif du calendrier et de la localisation des chantiers prévus dans le piétonnier. Situation : 28 mars 2018.

 

De multiples mesures de la mobilité: une ville accessible pour tous ?

Un piétonnier dans un centre-ville très fréquenté possède une multitude d’atouts écologiques et socio-économiques, pour autant que l’on respecte quelques conditions fondamentales. Comme nous avons mentionné dans notre Portfolio#1, diverses études internationales sur les piétonniers et la piétonisation indiquent qu’un tissu commercial local et adapté ne survit que si une politique intégrée pour le centre-ville et la mobilité est développée, avec des transports en commun appropriés et des solutions de remplacement pour une logistique durable. [Brandeleer et al., 2016 ; Boussauw, 2016 ; Keserü et al., 2016; Lebrun, 2016 ; Strale et al., 2016 ; Verlinde et al., 2016]. Parmi les pistes évoquées dans ces études, citons notamment des horaires adaptés pour les livraisons de produits frais (fruits, légumes, viandes, laitages) aux épiceries et établissements HORECA, qui doivent souvent s’effectuer vers midi plutôt qu’en matinée, mais aussi des solutions alternatives pour le stockage, la livraison et la distribution des biens et des services. Certains types de commerces ont d’autres besoins [voir Strale et Sotiaux, dans ce portfolio]: les petits établissements pourraient trouver leur intérêt dans des espaces de stockage et de distribution en centre-ville sans pour autant devoir engager plus de personnel ; des quais de chargement et de déchargement dans des rues transversales permettraient d’approvisionner aisément les commerces installés dans le piétonnier. Enfin, des vélos cargos pourraient par exemple servir à livrer des marchandises et des colis de taille réduite.

L’année dernière, un train de mesures de mobilité complémentaires a été pris. Certaines impliquaient des modifications directes du plan de circulation, notamment la réouverture partielle de la place de Brouckère aux voitures du côté de l’hôtel Métropole, mais aussi la réouverture partielle de la rue du Midi et des changements apportés à la circulation à sens unique dans le quartier Van Artevelde (place du Jardin aux Fleurs, etc.). D’autres initiatives mériteraient une meilleure intégration dans une politique de mobilité globale. Il s’agit en premier lieu de l’organisation de la circulation des bus sur la place Fontainas, qui devraient en principe rouler à travers le futur parc. Le plus grand flou règne encore sur l’implémentation et la gestion des passages et des arrêts.

Se pose ensuite la question de l’interaction entre les deux pôles commerciaux existants du centre de Bruxelles, c’est-à-dire Louise et le Sablon d’une part et le piétonnier d’autre part. La STIB avait, depuis quelques temps, le projet de mieux connecter le haut et le bas de la ville grâce à une ligne de bus (électriques) reliant Louise et Dansaert. L’échevine des Affaires Economiques et du Commerce de la Ville de Bruxelles, Marion Lemesre (MR), l’a devancé en prenant l’initiative d’un Free Shopping Bus en partenariat avec ING[7] qui relient les mêmes lieux[8] par navette. Cette navette va toutefois être remplacée dès le mois de juin 2018 par une ligne régulière de la stib (la ligne 33) qui circulera tous les jours de 6 h à minuit à raison d’environ 3 bus par heure. Le nombre de nouveaux véhicules qui équiperont cette ligne (des bus de 2,30 sur 9,5 m, au lieu de 2,55 sur 12 m pour un bus ordinaire) ne permettra pas en effet d’offrir des fréquences plus élevées, du moins dans l’immédiat. On peut toutefois se demander comment cette ligne de bus va améliorer l’accessibilité du centre-ville pour les visiteurs et les riverains, et si elle sera en mesure de capter un nombre suffisant de déplacements vers le lieu de travail au sein de la Région. En effet, près de 114 000 personnes travaillent dans le centre-ville, dont une proportion non négligeable habite en dehors de Bruxelles [Decroly & Wayens, 2016]. En outre, les dynamiques à l’œuvre dans la zone centrale du canal – c’est-à-dire le bas de Molenbeek, la Porte de Ninove, Tour & Taxis et KANAL CENTRE POMPIDOU – sont rarement prises en compte dans les réflexions sur un centre-ville pluriel et multiscalaire qui se repositionne dans le réseau urbain et sa morphologie.

Pistes cyclables : connexion entre le Pentagone et la première couronne ?

La morphologie du centre-ville permet à certains endroits (mais pas partout) d’associer un réseau de mobilité active à un « maillage vert et bleu », qui relie le réseau hydrographique et les paysages naturelles (parcs, corridors écologiques, arbres, arbustes, plaines, …). Des pistes cyclables en nombre suffisant et protégées restent une lacune que les pouvoirs publics s’attèlent lentement mais sûrement à combler. La Ville de Bruxelles – en la personne de son échevine de la Mobilité Els Ampe  (open.VLD) – a proposé d’installer des pistes cyclables surélevées dans le Pentagone, d’abord dans la rue de la Loi et la rue des Six Jetons, puis dans la rue des Colonies, la rue de Loxum, le Cantersteen et le boulevard de l’Empereur[9]. Lors de la commission de concertation, des adaptations ont été demandées pour la rue de la Loi et la rue des Six Jetons[10].

De son côté, la Petite Ceinture (R0) va bénéficier de pistes cyclables séparées dans les deux sens sur pas moins de 12 km. Il s’agit d’une initiative prise par la Région[11]. Ce qu’on ignore par contre, c’est comment les deux vont être harmonisées au sein d’une politique de mobilité et d’un projet urbain de plus vaste ampleur. Des initiatives comme « Bye Bye Petite CeintureByeBye Kleine Ring » peuvent servir de pont entre la périphérie et la première couronne, entre la mobilité et l’urbanisme. Ce projet propose le réaménagement de l’espace public « qui vise à un équilibre entre circulation et convivialité », en évoquant des pistes concrètes pour quatre tronçons de la Petite Ceinture. « Des zones de loisirs et de sport, des lieux d’évènements et des espaces productifs et commerciaux, qui s’adapteront aux quartiers traversés, pourront y voir le jour. »

Politique relative au parking et aux piétons

La présence de plus de 30 parkings couverts en activité dans le centre-ville reste toutefois un obstacle de poids à la mise en place d’une zone plus conviviale pour les piétons [Brandeleer et al., 2016; Ville de Bruxelles, présentation Unizo, 2017]. Les besoins en places de parking sont régulièrement mal évalués : un pourcentage relativement important des parkings couverts n’est apparemment pas utilisé, comme l’indique la Cellule Mobilité de la Ville de Bruxelles [Ville de Bruxelles, présentation Unizo, 2017]. Par ailleurs, une partie de la circulation motorisée restera nécessaire, notamment pour la logistique urbaine (a fortiori lors de la phase de transition vers une mobilité plus durable). Des parkings de dissuasion et des alternatives efficaces (p.e. budget mobilité, transport de marchandises volumineuses, les services d’application pour combiner des différentes modes de transport appelés «  Mobility as a Service [MaaS] »,  autopartage, etc.) sont nécessaires pour améliorer la qualité de vie en réduisant au maximum les nuisances. On oublie en effet trop souvent que ce sont les automobilistes qui sont le plus exposés à la pollution de l’air, si bien qu’une nouvelle politique de mobilité relative aux navetteurs s’impose, tout comme le développement d’autres types d’habitat urbain[12].

Un centre-ville en pleine refonte : plus de 30 projets à venir

Au programme du centre-ville bruxellois figurent un peu plus de 30 projets de réaménagement au cours des prochaines années, et la liste n’est pas complète [Ville de Bruxelles, présentation Unizo, 2017]. Aux innombrables rénovations de logements individuels par des particuliers s’ajoutent une série de travaux d’infrastructure (mobilité, logement, travail) et des projets de construction mixte.

Citons notamment le réaménagement du bâtiment de la Bourse, le déménagement du Centre administratif de la Ville de Bruxelles à l’emplacement de l’ancien Parking 58, qui accueillera environ 1 700 travailleurs, mais aussi la réaffectation de l’ancien bâtiment Actiris, le Tour Philips, les travaux de rénovation de l’Ilôt Sacré et de la rue Neuve, un projet de grande ampleur impliquant des logements et des bureaux derrière le complexe UGC, la rénovation des blocs de logements sociaux dans la rue du Rempart des Moines, les travaux dans le tunnel Léopold II, sans oublier la demande des riverains pour un espace public de meilleure qualité en remplacement du parking sur le boulevard Poincaré… Dans les lignes qui suivent, nous développons uniquement les projets qui, par leur ampleur, auront un impact important sur l’utilisation et l’appropriation du nouveau piétonnier.

La Bourse, plus qu’un simple temple de la bière

L’un des principaux projets dans la partie centrale du piétonnier est la reconversion du bâtiment de la Bourse. Beaucoup d’encre a déjà coulé à propos de ce « temple de la bière ». La crainte d’un piège à touristes revient régulièrement, tandis que le programme prévu se révèle plus diversifié et plus complexe : il implique notamment un espace public à l’intérieur du bâtiment, ainsi qu’une intégration de ce bâtiment et des rues environnantes. Lorsque le projet a été présenté au Beursschouwburg à l’occasion de la Brussels Academy par SUM et le BSI-BCO dans le cadre de journées d’étude organisées par Pyblik, il est apparu clairement que les plans du projet global étaient certes incomplets, mais aussi méconnus par des experts et du grand public[13]. Ce qui a éclipsé le passage public au rez-de-chaussée, la possibilité de prévoir des activités (marché aux fleurs, etc.) autour du socle du bâtiment et la terrasse sur le toit qui devrait être ouverte à tous. Les architectes Robbrecht et Daem ont tenté d’expliquer les ambitions pour le bâtiment, mais aussi pour les rues avoisinantes. Toujours est-il que ces éléments du projet devraient être élaborés plus concrètement, afin d’améliorer les interactions des parties du bâtiment en libre accès avec l’espace public alentour.

The Mint : le socle du centre administratif accueille de nouveaux magasins

Un autre scénario se dessine au rez-de-chaussée commercial de l’actuel centre administratif. Ces derniers mois, plusieurs chaînes y ont ouvert de nouvelles boutiques, ce qui semble bien correspondre à la politique de family pleasure shopping de l’échevine du Commerce, Marion Lemesre (MR). Ces chaînes spécialisées dans le sport, les jouets et l’habillement (Decathlon, UNIQLO, Flying Tiger, une parapharmacie, HEMA, Esprit, etc.) attirent d’ores et déjà un public vaste et varié.

Des exemples belges et étrangers montrent que les piétonniers favorisent souvent les chaînes au détriment des commerces de produits locaux de consommation courante [voir notamment Boussauw, 2016]. Pourtant, le centre-ville a besoin de plus de magasins vendant des produits frais comme des boulangeries, des boutiques de fruits et légumes et des boucheries. Il doit aussi continuer de soutenir les établissements plus spécifiques susceptibles de lui conférer une identité propre et d’en faire une destination de choix. Il ressort en effet de notre étude que la majorité des usagers du centre-ville de Bruxelles s’y rendent pour faire du shopping pendant leurs loisirs [Keserü et al., dans ce Portfolio].

Par ailleurs, le déménagement des services communaux vers l’ancien Parking 58 implique que la fonction de services publics de la Ville ne sera plus aussi visible dans le nouveau piétonnier. Se pose dès lors la question de la nécessité d’un forum public, un espace pour les citoyens où les « affaires de la ville » au sens large du terme sont présentées, discutées et décidées dans un endroit clairement visible, par-delà les frontières administratives (Ville, Région, métropole). Dans le cadre de plusieurs débats publics, des intervenants ont suggéré d’installer cette fonction dans l’hôtel Continental (« le bâtiment Coca-Cola »)  sur la place de Brouckère.

Lieux pour lesquels une décision reste à prendre : que vont devenir l’hôtel Continental et le bâtiment Actiris ?

Parallèlement, le futur programme et la destination d’une série d’autres immeubles restent à définir. Les bâtiments appartenant à l’État constituent un levier solide en vue d’une inclusion socio-économique. Que va devenir l’hôtel Continental sur la place de Brouckère et quelle influence aura-t-il sur l’utilisation et le caractère de l’espace public ? Et le bâtiment Actiris ? Quelle sera la nouvelle destination des étages du Centre administratif de la Ville de Bruxelles ? Ou de la tour Philips ? Ce ne sont là que quelques-unes des questions qui se posent au sein du périmètre du Pentagone historique, mais il va de soi que les interactions au-dehors revêtent une égale importance.

Comment vont évoluer les dynamiques socio-économiques et culturelles entre le centre-ville et la rue Dansaert en direction de la place Communale de Molenbeek ? Quelle signification les interactions entre le centre-ville, le nouveau musée sur le site du garage Citroën et le nouveau quartier de Tour & Taxis auront-elles pour Bruxelles ? Au nord-ouest, des questions similaires se posent concernant la nouvelle Porte de Ninove, le site de l’abattoir, l’impact du redéveloppement de la ceinture ferroviaire ouest et de la gare de l’Ouest[14]. Toutes ces questions ont fait l’objet d’un séminaire, d’une Master Class internationale, d’une exposition et d’une série de workshops organisés par le BSI-BCO avec le soutien de perspective.brussels.

Ces projets auront indubitablement un fort impact sur le centre-ville, notamment sur le caractère de ses utilisations et les dynamiques de marché dans le piétonnier et alentour. Tout changement implique des gagnants et des perdants. Partant, le BSI-BCO s’attèle à chercher des solutions alternatives pour les endroits les plus vulnérables, les activités et les groupes qui se laissent facilement oublier ou qui sont exclus des débats publics et scientifiques.

3. Le BSI-Brussels Centre Observatory présente 8 nouvelles contributions

Le BSI-BCO a travaillé intensément au cours de l’année pour mettre cette complexité en avant, pour  affiner sa conception des défis, ainsi que les propositions concrètes de plan et de politique, mais aussi pour identifier les priorités et combler les lacunes des connaissances existantes. En bref, le BSI-BCO a été bien occupé.

Du piétonnier au projet urbain (Brussels Studies)

Les contributions du premier Portfolio#1 ont été synthétisées et publiées dans la revue Brussels Studies sous le titre Du « grand piétonnier » au projet urbain : atouts et défis pour le centre-ville de Bruxelles.

Nous partons du principe que la piétonnisation des boulevards du centre de Bruxelles peut être optimisée dans, au moins, quatre domaines. Cela impliquerait (1) qu’un véritable projet de ville complète le plan d’aménagement en misant sur les aspects immatériels et en planifiant mieux les différentes atmosphères tout comme les activités sociales, commerciales et artistiques dans le centre-ville ; (2) que le projet soit intégré dans une vision multiscalaire du développement du territoire et soit relié notamment aux divers plans pour la mobilité, l’environnement, le commerce et le logement ; (3) que l’on renforce le soutien au projet par des informations et une communication de meilleure qualité, mais aussi par la participation et la coproduction ; (4) que le changement de paradigme soit être consolidé en clarifiant le rôle du projet urbain. Nous avons par ailleurs présenté nos propositions politiques au Collège des Bourgmestre et Échevins de la Ville de Bruxelles en juin 2017.

Parallèlement, nous nous sommes régulièrement réunis avec les membres de notre Taskforce et avec des partenaires extérieurs ; nous avons aussi mené de nouvelles études. Les contributions de ce Portfolio#2 présentent ce travail. Quatre articles ont déjà été publiés « au fil de l’eau » sur notre site internet à l’automne 2017 ; quatre contributions résument les résultats des nouvelles recherches de quelques membres du BSI-BCO, notamment les résultats de deux enquêtes concernant l’impact du piétonnier sur la logistique et la mobilité, l’accessibilité de l’espace public dans son état actuel et la satisfaction des usagers (voir plus bas).

Le groupe de travail « Espace public » s’est penché sur la façon d’optimiser l’aménagement de ces endroits pendant les travaux, mais aussi sur la marche à suivre pour mieux harmoniser les multiples activités et événements, qu’ils soient prévus ou spontanés, afin de préserver suffisamment d’espace libre et de « temps de repos ». Le groupe de travail « Dynamiques socio-économiques » a organisé un séminaire sur l’exploitation et la gestion des activités commerciales, et sur la manière d’accommoder des activités économiques locales avec le tourisme et l’emploi dans le centre-ville dans le contexte des dynamiques économiques métropolitaines. Ces deux trajets restent un important work in progress.

Zoom in | Zoom out : Entre ville de proximité et région métropolitaine

L’un des projets du BSI-BCO a étudié plus en détail la cohérence entre ce qui se passe au niveau local (zoom in) et les dynamiques qui conditionnent le paysage métropolitain (zoom out). Les projets de construction et les projets urbains précités (qu’ils soient planifiés ou en cours de réalisation) ne peuvent en effet être pensés indépendamment de l’hinterland métropolitain avec ses quelque 3 millions d’habitants et plus de 340 000 de navetteurs journaliers. Dans ce contexte, le centre-ville occupe une position prioritaire compte tenu des innombrables services, emplois et attractions touristiques qu’il compte. Sans compter qu’en dehors du centre-ville, plusieurs projets de grande envergure sont également en préparation et qu’ils auront une influence sur les relations sociales et spatiales du centre avec la première et la deuxième couronne, mais aussi avec l’hinterland. Citons notamment les propositions relatives à la Petite Ceinture, le projet Métro Nord, la poursuite de la construction du réseau S (connu jusqu’il y a peu sous le nom de Réseau express régional, ou RER), etc. Si l’hypercentre métropolitain veut conserver sa position centrale dans cette agglomération polycentrique et multiscalaire, il doit impérativement développer une vision à ce propos.

Dans le cadre d’une série de séminaires et de master classes, le BSI-BCO a étudié la manière dont les différents types de centralités dans la Région de Bruxelles-Capital peuvent fonctionner pour que « la ville de proximité », « la ville polycentrique » et « la ville métropolitaine » en arrivent à se renforcer mutuellement. Dans l’idéal, une vision urbaine qui soutient les commons offre un cadre stratégique et directif pour les projets de construction et de mobilité ainsi que pour les projets urbains évoqués plus haut. La réalisation d’un grand nombre d’entre eux dans le centre-ville s’effectue cependant sans vision urbaine formelle et structurante. La stratégie proposée – le Plan Régional de Développement Durable (PRDD) – n’est toujours pas entrée en vigueur, elle doit encore faire l’objet d’une décision juridique.

Dans leur article « Le piétonnier, l’hypercentre et les multiples centralités de Bruxelles », Vanderstraeten et Corijn résument le travail réalisé lors du premier séminaire et proposent une méthode de travail pour soutenir l’hypercentre bruxellois par une approche et des recherches qui s’articulent davantage autour de projets. Les participants ont imaginé des scénarios durables pour la structuration spatiale et programmatique du futur hypercentre, dont fera partie le piétonnier. Cette contribution constate que la piétonnisation des boulevards du centre de Bruxelles constitue un levier, ainsi qu’une occasion unique de redéfinir l’hypercentre dans ce cadre plus vaste. Inversement, la cohérence structurelle de ce périmètre peut promouvoir le piétonnier et l’intégrer dans un contexte élargi qui renforcera à son tour cette zone et son rayonnement. Il faudrait qu’à l’échelle de la Région et de la métropole, l’hypercentre soit mieux intégré dans une structure polycentrique, que le gouvernement régional s’efforce d’atteindre dans le PRDD et dont l’emplacement et les caractéristiques spécifiques doivent être définis par rapport aux autres centralités bruxelloises. Dans la recherche d’une définition et d’une délimitation de l’hypercentre, il y a lieu de mettre progressivement sur pied des projets destinés à restaurer structurellement l’équilibre entre les relations nord-sud, aujourd’hui dominantes, et les relations est-ouest. Parmi les pistes évoquées, citons un maillage structurant de sentiers qui donnent la priorité aux piétons, mais sont également ouverts aux cyclistes et aux transports en commun dans le but de conférer à cette zone la cohérence attendue. Ce maillage reliera la zone aux gares principales et l’intègrera dans le paysage bruxellois et ses vallées.

Master class – Expo : l’hypercentre de Bruxelles

C’est en s’inspirant de ce séminaire que le BSI-BCO et certains de ses membres, professeurs de l’UCL et de la VUB, ont organisé une Master Class en collaboration avec perspective.brussels, Pyblik, le bouwmeester maître architecte (BMA), la Brussels Academy et BOZAR. Dans leur compte rendu « L’hypercentre de Bruxelles : du piétonnier au projet urbain. Brussels hypercentre : from pedestrian area to urban project », De Visscher, Mezoued et Vanin montrent les résultats le plus pertinents en mot et image. Un groupe de 24 étudiants et professionnels belges et étrangers se sont penchés une semaine (entre fin janvier-début février 2018) sur les enjeux du piétonnier et sur les liens entre l’hypercentre et les autres centralités bruxelloises. Ensemble, ils ont élaboré une série de scénarios multiscalaires sur les thèmes « Zoom In | Zoom Out » en appliquant une méthode de recherche par le projet. Quatre équipes ont analysé quatre axes : outre celui qui se situe entre le nouveau piétonnier et la jonction Nord-Midi, trois axes est-ouest entre la partie basse et la partie haute de la ville ont été étudiés : Madou-Comte de Flandre, Porte de Namur-Porte de Flandre et Sablon-Porte de Ninove. Les résultats ont été présentés dans trois maquettes : questions, visions et actions.

Chacun des quatres axes a donné lieu à un projet spécifique qui propose une vision et des actions qui peuvent être implémentées sur le court et le long terme. Quelques grandes idées émergent des quatre projets, à savoir :

  • la création de continuités piétonnes en reliant les piétonniers existants entre eux et en facilitant les franchissements des grandes infrastructures routières telles que la petite ceinture ;
  • la création de succession d’espaces publics et de programmation d’usage le long de certains axes (exemple : des marchés hebdomadaires proposés le long de l’axe Madou – Comte de Flandre) ;
  • la mise en réseau des écoles par la création de chemin des écoles (maillage piéton et renforcement de l’accessibilité en transport en commun) ;
  • et la mise en place d’un programme commun d’agriculture urbaine dont la production est mutualisée dans ce réseau d’écoles, etc.

Les quatre projets, mis ensemble, contribuent à construire une seule et même vision pour l’hypercentre de Bruxelles. Ils dessinent une nouvelle figure urbaine qui dépasse l’imaginaire du Pentagone, qui est mieux allignée aux pratiques sociaux réelles que l’on observe.

Penser le Slow Metropolis, repenser le partage de l’espace public

L’article « Repenser le partage de l’espace public pour un hypercentre marchable » proposé par Mezoued et Letesson vient enrichir de manière cumulative la réflexion sur l’hypercentre de Bruxelles et notamment sur les questions de mobilité. Il propose des pistes concrètes pour  la mise en place d’un maillage piéton proposé par Vanderstraeten et Corijn [2017]. Le texte reprend les résultats d’une étude menée à l’EPFL et à l’UCL et qui s’intitule « Brussels Slow Metropolis ». Sur la base d’analyse de l’hospitalité de l’espace public à la marche et l’analyse de la syntaxe spatiale de l’ensemble de la Région de Bruxelles-Capitale, les auteurs proposent des outils et une méthode pour repenser le partage de l’espace public permettant de remettre l’homme et le piéton au centre des aménagements, sans exclure pour autant d’autres modes de transport et notamment le transport public. Ils définissent également une hiérarchie de voiries en fonction de leur capacité à attirer le mouvement et en fonction des échelles de déplacement. La réorganisation du partage de l’espace est adaptée à cette hiérarchie. Ainsi, trois types de voiries apparaissent :

  • des voies structurantes à priorité piétonne, mais qui autorisent la présence de transports en commun à haut niveau de service, voire de l’automobile, mais sous d’autres configurations ;
  • des voies secondaires à priorité piétonne, mais qui autorisent la présence de transports en commun plus légers ;
  • des voies tertiaires exclusivement piétonnes, mais dont le partage peut s’adapter aux spécificités et besoins de chaque rue.

Ce travail de recherche propose des outils à la fois d’analyse et de projet qui permettent d’objectiver la création de ce maillage piéton. Il permet également de définir les actions à mener par chaque type d’acteur.

Deux propositions pour le piétonnier : une transition d’un usage à un autre

Dans le cadre d’une journée de formation, Pyblik a collaboré avec des fonctionnaires et des experts sur le thème du piétonnier du centre-ville de Bruxelles. Les échanges se sont concentrés sur la question « comment la réaffectation d’un espace public peut générer une autre forme d’appropriation ? » L’exercice de départ consistait à affiner et à compléter le projet d’aménagement SUM existant, qui est actuellement mis en œuvre. L’article de Kums et Van Doosselaere « Le piétonnier-lab : deux propositions pour l’entretemps de l’espace public » résume les conclusions de l’atelier et les opportunités qu’il a mises en lumière. Il présente également les propositions des deux groupes de travail. Celles-ci indiquent concrètement comment les usages existants et les nouveaux lieux peuvent aller de pair.

Le premier projet propose un parcours artistique en 3D sur le boulevard Anspach afin de rendre la période des travaux un peu plus agréable. Un système de signalisation dynamique améliore la lisibilité du centre-ville. Les institutions culturelles et les écoles situées dans le piétonnier et alentour prévoient une intervention artistique (ou autre) dans l’espace public, en surface comme en sous-sol, ou sur une façade, en lien avec un thème annuel. Chaque année, une fête de quartier permet également de rassembler divers groupes et usages. La nuit, une chorégraphie lumineuse éclaire les endroits moins sécurisants.

Le deuxième projet suggère une programmation stratégique pour créer des échanges forts entre l’espace public et le bâti, en particulier à la hauteur de la place de Brouckère. Ce projet formule quelques propositions concrètes pour certains lieux stratégiques, notamment les lieux vacants évoqués plus haut, l’hôtel Continental (« bâtiment Coca-Cola »), le bâtiment Philips, la place de la Bourse, tout en renforçant la relation avec la place Fontainas.

Ces propositions ont également été prises en compte dans les réflexions de la Master Class Zoom in | Zoom out. Les deux projets s’intéressent à l’écart entre les usages prévus et spontanés de l’espace public, à l’extérieur comme à l’intérieur des bâtiments publics. Tout ceci nous amène au rôle des autres « lieux en marge » et à la contribution d’une nouvelle étude menée sous l’égide du BSI-BCO.

Que signifient les espaces marginaux pour l’espace public ?

Les villes fourmillent d’endroits et d’espaces où se déroulent des activités informelles. L’espace public est tout à la fois une aire de jeu pour les enfants et les jeunes, une scène pour les danseurs de hip-hop et les groupes de musiciens, un endroit accueillant pour papoter sur un banc, un lieu d’activité pour les travailleurs du sexe, un logement mobile pour les groupes à risque que sont les sans-abris, les mendiants et les toxicomanes. Or de nombreux projets de développement urbain éprouvent des difficultés à reconnaître ces marges. Non seulement aux phases de prise de décision et de sélection des principes du développement, mais très souvent aussi dès le processus de conception. Consciemment ou non, les activités informelles sont évacuées d’un simple revers de main du programme de rénovation. Les tensions entre les activités souhaitées et indésirables (ainsi que l’identité de ceux qui fixent ces choix) sont au cœur des rapports de force entre ce qui est possible, ce qui est permis et ce qui est toléré dans le domaine public.

Dans leur contribution « Sans-abrisme et projet urbain : inconciliable ? », Rosa et Malherbe (UCL) étudient les espaces « marginaux » au sein desquels se meuvent les sans-abris. Ils traitent du paradoxe entre la visibilité accrue des sans-abris dans le piétonnier et leur présence réelle. Des chiffres récemment publiés par La Strada [2017] indiquent qu’ils sont de plus en plus nombreux à se déplacer de préférence en dehors du centre-ville en direction de la première couronne, notamment en raison d’un renforcement des contrôles. Dans le même temps, la visibilité accrue du sans-abrisme dans les rues interroge l’équilibre entre le principe du « housing first » et la politique de tolérance. Elle soulève aussi la question de savoir si les marges destinées à des activités informelles revêtent encore une certaine importance dans les projets urbains et si ces lieux doivent absolument se voir attribuer une place prédéterminée dans le cadre d’une ville équitable.

Réduire les nuisances pour les quartiers les plus vulnérables

Les zones urbaines comme les centres-villes subissent des embarras de circulation, ainsi que des nuisances sonores et olfactives et une pollution de l’air. Tous ces facteurs ont un impact non négligeable sur la qualité du cadre de vie, mais aussi sur la santé mentale et physique des personnes qui vivent et travaillent en ville. La VUB et l’ULB analysent la qualité de l’air à Bruxelles sur la base d’une étude européenne en cours (SmarterLabs), entre autres du point de vue des sciences participatives. Dans « A brief guide to the air of Brussels », Da Schio, Bouland et De Geus (VUB et ULB) résument les causes des problèmes, mais aussi leurs conséquences principales en termes de santé publique. Ils évoquent également le fait que la méthode de mesure des nuisances, la réglementation à ce sujet et l’identité des personnes qui exercent ces compétences conditionnent en grande partie la manière dont le problème prend forme et est politisé. L’article se concentre sur une série de mesures locales en précisant que leur efficacité dépend dans une large mesure de leur insertion dans une politique de mobilité intégrée et durable.

Ce qui nous amène directement à la question de savoir comment les ambitions et mesures d’un certain nombre de nouveaux plans peuvent accoucher d’une ville plus productive du point de vue écologique, laquelle se greffe sur un métabolisme urbain sain, des énergies renouvelables, des gaz à effet de serre inoffensifs, et une qualité de l’air et un niveau sonore supportables. Le piétonnier du centre-ville peut-il contribuer aux objectifs du futur Plan régional de mobilité (Good Move), des plans (inter)régionaux pour les trains, les bus, les vélos et les piétons, le plan Air-Climat-Energie, etc. ? Sans compter qu’en janvier 2018 est entrée en vigueur la Zone de basses émissions et que le nombre de cyclistes augmente dans la Région.

Un centre-ville génère un usage accru des transports en commun

L’un des principaux points névralgiques que nous avons déjà évoqué précédemment (Portfolio#1), correspond au manque de données réelles pour se forger une meilleure idée de l’impact du piétonnier [Keserü et al., 2016; Verlinde et al., 2016]. Dans ce cadre, deux nouvelles études ont été mises sur pied et réalisée avec le soutien de Bruxelles Mobilité.

Le centre de recherche MOBI de la VUB a analysé, en collaboration avec le BSI-BCO, l’impact du piétonnier bruxellois en matière de mobilité et d’accessibilité, ainsi que la satisfaction relative à l’espace public, par le biais d’une enquête en ligne et d’interviews en rue. 4 870 personnes habitant à Bruxelles et ailleurs, des visiteurs du boulevard Anspach piétonnisé et des personnes qui travaillent dans le Pentagone y ont participé. Dans leur article « The impact of the extension of the pedestrian zone in the centre of Brussels », Keserü, Vermeulen, te Boveldt, Heyndels, Wiegmann et Macharis présentent quelques-uns de leurs résultats principaux. Les partisans du nouveau piétonnier sont plus nombreux que les opposants, surtout parmi les Bruxellois, qu’ils habitent dans le centre ou dans la Région. À l’extérieur, la perception d’une mauvaise accessibilité automobile progresse. Les répondants indiquent cependant qu’ils sont moins satisfaits de la propreté et qu’ils se sentent peu en sécurité, de jour comme de nuit. Enfin, nous observons une tendance à la hausse concernant l’utilisation des transports en commun pour se rendre dans le centre-ville. L’impact potentiel d’un changement modal est élevé, car 36 % des riverains de la zone métropolitaine de Bruxelles expliquent qu’ils utilisent un autre moyen de transport pour aller dans le centre.

Une logistique durable exige un « soutien de transition » aux commerçants locaux

Une deuxième étude menée par l’IGEAT (ULB) a inventorié les « enjeux logistiques du piétonnier et des réaménagements connexes dans le centre-ville » par le biais d’une enquête menée auprès de 400 commerçants installés dans le nouveau piétonnier et alentour. Dans cette enquête, Strale et Sotiaux ont évalué l’impact du projet au niveau logistique, notamment la nouvelle réglementation relative aux livraisons. Ils ont également jaugé l’adhésion des commerçants à une série de pistes objectives en vue de faciliter ces livraisons. Ils constatent que les commerçants portent un intérêt limité à toute solution innovante, pour des raisons financières et par manque de temps. Le BSI-BCO en conclut qu’ils ont besoin d’une aide concrète pour le passage ou la transition vers ce type de solutions.

Naturellement, un grand nombre d’autres aspects méritent également une attention approfondie. Des formes alternatives de logement et de travail, un diagnostic pour une politique foncière efficace et équitable, un lieu réservé à l’industrie de fabrication artisanale en association avec des emplois de qualité pour les personnes peu qualifiées exigent de bonnes connaissances de terrain, des idées enthousiasmantes et un appui concret pour les porteurs et les animateurs de projets de ce genre. Par ailleurs, un cadre objectif pour la fiscalité, la contractualisation et d’autres instruments politiques sont susceptibles de mettre en place les conditions de base pour éviter au maximum l’exclusion sociale.

Dans ce contexte, des données de qualité ainsi que la fusion des connaissances pratiques et académiques, mais aussi des propositions concrètes et réalisables, vont de pair. C’est d’ailleurs ce que poursuit le BSI-BCO.

4. Le projet doit être intégré de manière visible

Ces deux dernières années, le BSI-BCO a rédigé plusieurs articles. Il a compilé des études, la littérature et des comparaisons internationales antérieures, mais aussi de nouvelles données empiriques. Sur ce même laps de temps, nous avons également rencontré de nombreux intervenants : nous avons organisé des réunions et des interviews avec des acteurs politiques, des représentants de la société civile et des associations urbaines, des acteurs locaux, des riverains et des visiteurs du centre de Bruxelles qui habitent ailleurs. Ces démarches nous ont permis de brosser un tableau relativement détaillé du développement du projet le long des boulevards centraux, mais aussi de la façon dont l’ensemble du centre-ville se restructure. L’année dernière, nous avons regroupé nos recommandations en 4 axes (voir encadrée).


Recommandations pour le centre-ville bruxellois du BSI-Brussels-Centre Observatory

1° Rassembler autour du projet urbain

  • Mettre en place une coordination opérationnelle, interne et externe, clairement identifiée (engager un Intendant)
  • Organiser la coproduction
  • Développer une politique de communication à la hauteur du projet

2° Agir sur l’immatériel – soutenir « the life between buildings »

  • Garantir la diversité des ambiances – tel que proposé par le Plan SUM – et des usages de l’espace public par le soutien et la coproduction des activités nombreuses (socioculturels, symboliques, productives, loisirs, etc.)
  • Mettre en place une chambre de qualité
  • Faire du temps du chantier un moment fort de la coproduction de l’espace public

3° Renforcer les liens avec les autres dynamiques (régionales, métropolitaines)

  • Sortir du périmètre : la recherche par projet et la question des centralités
  • Connecter le plan d’aménagement de l’espace public aux plans de développement patrimonial, économique et commercial (et foncière) du centre-ville et au plan de mobilité (en lien avec la RBC et la métropole)

4° Confirmer le changement de paradigme

  • Expliciter le projet urbain
  • Agir sur et par le logement
  • Éviter et prévenir les reports de nuisances
  • Intégrer les parkings existants à la réflexion sur l’avenir

Force est de constater qu’il n’y a pas eu beaucoup de changements et que nous pouvons donc encore souscrire à ces recommandations. (Nous notons bel et bien une amélioration progressive de la communication relative au projet et aux autres dynamiques à l’œuvre dans le centre-ville, mais une politique globale de communication qui rassemble les informations sur les différents volets du projet manque toujours.) Le besoin se fait toujours sentir d’un opérateur central et tranversal (intendant) qui chapeaute le projet, mais aussi d’un accroissement de la collaboration, de la coproduction et de la participation sur la base d’une vision partagée du plan. Enfin, le piétonnier mérite que ce projet soit intégré dans un projet urbain plus vaste pour l’hypercentre métropolitain, dont les dynamiques dépassent les frontières du Pentagone, surtout en direction des gares du Nord et du Midi et de la zone centrale du canal.

Le présent portfolio confirme dans une large mesure ce diagnostic, il le complète et l’enrichit de nouvelles connaissances et données. Il n’en reste pas moins que ce cadrage continue de compter pour le débat public.

Nous vous souhaitons une bonne lecture et espérons qu’elle vous inspirera !

 


[1] https://www.brussel.be/sites/default/files/NL_-_1.1._DO_openbare_zitting_1_tot_123.pdf

[2] http://www.raadvst-consetat.be/?page=news&lang=fr&newsitem=408
http://www.raadvst-consetat.be/?page=news&lang=fr&newsitem=461

[3] Décision rendue le 29 janvier 2018 : rejet du recours des commerçants. http://www.lalibre.be/regions/bruxelles/bruxelles-le-conseil-d-etat-rejette-le-recours-de-commercants-contre-le-reamenagement-du-pietonnier-5a6f61b9cd70b09cefef2ddc

[4] https://www.rtbf.be/info/regions/bruxelles/detail_bruxelles-un-pietonnier-qui-commence-enfin-a-etre-amenage?id=9870723
https://bx1.be/news/travaux-pietonnier-saccelerent-niveau-de-place-de-brouckere/

[5] http://www.lavenir.net/cnt/dmf20170926_01061963/pietonnier-close-voit-le-troncon-en-travaux-comme-un-appartement-temoin

[6] Voir, pour plus de précisions, le site de la Ville de Bruxelles dédié au centre-ville: https://centreville.bruxelles.be/fr/actualites

[7] https://www.bruzz.be/samenleving/stad-en-gewest-botsen-over-gratis-shoppingbus-2017-08-29

[8] Le Free Shopping Bus relie les quartiers commerciaux du centre-ville en boucle (ca. 5,7 km), c’est-à-dire, les quartiers Dansaert, Rue Neuve, Grand-Place, Place Royale, Place Louise, Sablon, Saint-Jaques). Cette navette électrique relie donc la ville-haute et la ville-basse. Elle est accessible à tous, mais cible en particulier les activités de « shopping de loisir ». http://www.freeshoppingbus.be/

[9] https://www.bruzz.be/mobiliteit/fietspaden-vijfhoek-moeten-terug-naar-tekentafel-2018-02-22

[10] https://d7s32wmof1l1p.cloudfront.net/2018-02/fietspad_zespenningenstraat_plan.jpg?auto=format&crop=edges%252C%2520entropy&fit=crop&ixlib=php-1.1.0&q=95&w=260&s=1b6e7cbec0f8349ef0c8e4205d2d7354

[11] https://www.bruzz.be/videoreeks/bruzz-24-27032017/video-overal-afgescheiden-fietspaden-langs-kleine-ring

[12] Voir p.e. :

[13] https://www.bruzz.be/opinie/moet-de-beurs-een-biertempel-worden-2017-10-03

[14] Voir LOECKX, A., CORIJN, E., PERSYN, F., AVISSAR, I., SMETS, B., MABILDE, J. et VANEMPTEN, E., 2015. Metropolitan Landscapes : open ruimte als basis voor stedelijke ontwikkeling. Bruxelles : Vlaamse Overheid.