Sans-abrisme et projet urbain : inconciliable ?
Résumé. Ce texte vise à requestionner la place des marges socio-spatiales dans le projet urbain, celui-ci étant compris comme créateur de sens et concrétisation possible d’un désir de coexistence. Les projets urbains traitent rarement des marges et de leur acceptabilité dans l’espace public. Cette question nous paraît centrale si l’on considère les marges en tant qu’espaces-ressources pour les personnes les plus précarisées, en l’occurrence les personnes sans-abri. En effet, la manière dont les marges sont traitées révèle des évolutions sociétales plus profondes qui concernent les inégalités d’accès aux droits fondamentaux. Dans ce but, notre analyse se concentre sur les personnes sans-abri, sur leurs pratiques de dormir et sur les espaces qu’ils occupent et habitent dans le périmètre du projet du piétonnier bruxellois. L’objectif principal de ce texte est de comprendre à quelles conditions le projet urbain peut devenir un dispositif capacitant plutôt qu’un instrument d’annulation des marges. Une entrée par le marges permet ainsi de faire ressortir la nécessité pour le projet urbain de se remettre en question quant à la reconnaissance des marges et au droit à l’espace public pour l’ensemble des individus, avec les besoins et les désirs qui leur sont propres et les ressources qui sont nécessaires, voire indispensables à leur survie.
Original Research
Alain Malherbe & Elisabetta Rosa
CREAT-LOCI-UCL
Plan
1. Les sans-abris et l’espace public
2. Les marges et le projet urbain
3. Pratiques de l’espace public du piétonnier
4. Les articulations entre les marges et le projet urbain dans le cadre du piétonnier
Dans le premier portfolio consacré au piétonnier bruxellois, E. Corijn, P. Vanderstraeten et J. Neuwels [2016 : 81] relevaient que « la gestion du sans-abrisme est étonnamment tue ». Le projet était jugé généreux, mais avec une surdétermination de l’aménagement qui tend à normaliser les espaces et donc procure des possibilités d’appropriation plus difficiles par les autres groupes sociaux que ceux ciblés — les touristes et les chalands [1]. Deux imaginaires s’y sont installés : l’imaginaire déployant un espace public marchand et qui s’articule avec un imaginaire de l’espace public politique [Genard et al, 2016]. Une synthèse s’opère au travers de l’imaginaire suburbain que le projet privilégie par la construction d’espaces apaisés, invitant à la promenade dont les objectifs ne sont pas sans rappeler le dessin de la ville ante automobile de la fin du XIXe siècle avec ses larges avenues et boulevards.
Ce texte s’inscrit dans une réflexion plus large [2] qui vise à requestionner la place des marges sociospatiales dans le projet urbain, ce dernier étant compris comme articulation entre forme et processus, créateur de sens et concrétisation possible d’un désir de coexistence [Remy, 1998]. En effet, les projets urbains traitent rarement des marges et de leur acceptabilité dans l’espace public, une question qui nous paraît centrale si l’on considère les marges en tant qu’espaces-ressources pour les personnes les plus précarisées. La définition de qui et de quoi est acceptable dépend largement des imaginaires qui sont à l’œuvre dans la société [Wright, 1992]. Ainsi, la manière dont les marges sont traitées révèle des évolutions sociétales plus profondes qui concernent les inégalités d’accès aux droits fondamentaux [3]. Dans ce but, l’analyse se concentre sur les personnes sans-abri et sur les espaces — réels et imaginaires — qu’ils occupent dans le projet du piétonnier.
1. Les sans-abris et l’espace public
Les sans-abris sont ici compris en reprenant l’European Typology on Homelessness and housing exclusion, à savoir comme des personnes vivant dans la rue et/ou dans les hébergements d’urgence [ETHOS, 2007]. Les pratiques quotidiennes de ces personnes sont : produire, dormir, se laver, se reproduire et se socialiser [Doherty et al., 2008]. Trois approches se distinguent dans la gestion de la problématique de la grande précarité. Une première approche, qui est également la plus diffusée, se focalise sur les politiques de préventions du sans-abrisme par les dispositifs d’accès au logement (l’expérience récente Housing First [4] en est un exemple) ; la deuxième, sur les stratégies de régulation des usages non désirés des espaces publics via les évictions, l’installation de dispositifs de surveillance ou d’éléments architecturaux « anti » SDF, squat, vandalisme, etc. ; la troisième, sur la proposition de solutions techniques et architecturales (habitats alternatifs et temporaires) [5]. L’hybridation du statut des espaces entre public et privé, entre accès garanti et privatisation, traverse les réflexions sur le sujet.
Selon les chiffres du dernier dénombrement de La Strada [6] le sans-abrisme est un phénomène en forte augmentation à Bruxelles [Mondelaers, 2017] [7] : entre 2008 et 2016, on est passé de 1 729 à 2 286 personnes (+ 95,8 %). Outre les squats dont la percée est exponentielle (+ 878,3 %), c’est l’espace public qui accueille de plus en plus de sans-abris (+ 162,8 % entre 2008 et 2016 : de 269 à 707 personnes). En même temps, un phénomène de dispersion est constaté dans la répartition des sans-abris à l’intérieur du Pentagone avec une diminution importante des présences dans les trois gares principales (- 13,9 %) et une croissance inférieure à la moyenne régionale dans le centre-ville (+ 27,5 %). Parmi les explications possibles, on peut mentionner d’une part, les mesures de sécurité introduites suite aux attentats de 22 mars 2016, y compris la fermeture des gares entre 2 h et 4 h, et d’autre part, le fait que la distribution de repas par des organisations des volontaires n’est plus autorisée. Par contre, le reste du Pentagone et l’extérieur au Pentagone passent de 79 unités à 533 unités. [8]
Au-delà des chiffres, tant les profils des espaces occupés que ceux des personnes sont assez diversifiés. La forme de l’habitat précaire va des tentes et des abris plus ou moins en dur à des dispositifs de carton ou de simples matelas. Parmi les facteurs qui expliquent cette recrudescence, retenons la crise des réfugiés [9], l’insuffisance de logements abordables et adaptés, l’importance prise par les ressortissants européens en situation précaire [Mondelaers, 2017]. Plus préoccupante est la sous-estimation des familles et la part plus que prédominante des personnes qui n’ont pas accès aux droits sociaux. Plus que la limitation d’accès aux gares, l’installation de mobilier avec des contraintes dissuadant de s’y coucher ou la fermeture de la station prémétro Bourse pour raisons de travaux, ont eu des conséquences sur l’évolution du nombre de sans-abri dans l’espace public autour du piétonnier.
Les représentations dominantes — médias, presse, discours politiques — font des sans-abris un cas extrême de marginalisation sociospatiale, tels des « mauvais pauvres » [Francq 2009]. Les images qui y sont associées — de saleté, mauvaises odeurs, bruit — se projettent sur les espaces qu’ils pratiquent. Ces espaces — les trottoirs, les coins délaissés, les entrées des magasins fermés, les recoins des bâtiments en construction ou en cours de rénovation, les urinoirs, tout comme les lieux qui leur sont dédiés (asiles de nuit, foyers, restaurants de cœur, etc.) — finissent par incarner le stigmate associé au sans-abrisme [Takahaschi 1998], ce qui devient le point de départ pour de nouvelles discriminations.
En même temps, si l’on privilégie une approche par potentialité — tel est notre cas — les marges sont surtout une ressource — spatiale, sociale, économique [Rosa, 2015] — pour les plus démunis : une possibilité d’existence, de relation, un espace de résistance ouvert à des trajectoires émancipatrices.
2. Les marges et le projet urbain
Le projet urbain de piétonnisation des Boulevards Anspach et Lemonnier transforme en profondeur le rôle de l’espace public tant dans ce qu’il offre comme altérité que comme connectivité à l’intérieur du Pentagone. L’espace public est l’aspect le plus important de la ville, là où ses dimensions physiques, sociales, économiques, politiques et culturelles sont constamment agencées et réagencées [Leary 2013]. Les processus de métropolisation, la compétitivité internationale et le marketing urbain en font aujourd’hui un espace convoité, qui se privatise pour répondre aux exigences d’attractivité résidentielle ou évènementielle. Cette marchandisation renforce les processus d’éviction des pratiques qui ne rencontrent pas ces objectifs. En même temps, l’espace public est un espace que nous partageons avec les Autres, y compris les sans-abris. La rencontre de la différence [Valentine 2008] et la coexistence entre les individus, les pratiques et les modes d’habiter qu’implique cet espace restent toutefois à interroger. Cette interrogation est comprise comme l’articulation de l’acceptabilité et de la reconnaissance.
Le refoulement des usages non-désirés dans l’aménagement des espaces publics met à jour ces stratégies de marchandisation de la ville [Langegger, Koester, 2016]. De la transformation du statut des espaces publics induit par les logiques néolibérales découle une hybridation dont le résultat est souvent une restriction des possibilités d’accès, d’usage et des pratiques via la normalisation progressive. Ces restrictions ne font qu’accentuer les conflits d’usage entre les individus, y compris parmi les sans-abris [Meert et al., 2006].
La normalisation et la régulation des espaces publics pour tenter d’éviter les usages non-désirables est une constante depuis l’affaiblissement de l’État-providence et la montée en puissance de l’État néo-libéral. Sous l’influence du modèle anglo-saxon, l’action publique à présent procède à une délégation de plus en plus affirmée de la gestion de l’urgence vers les associations non gouvernementales [Zeneidi-Henry, 2002], et en même temps criminalise la précarité, stigmatise et réprime les marges avec pour conséquence une surpopulation des centres de détention [Wacquant, 2010]. Cette tendance se traduit d’une part, par un discours très construit des acteurs sociaux sur la problématique de l’urgence sociale et d’autre part, par une normalisation et une régulation croissantes de l’espace public via le projet urbain. Cette régulation se concrétise par la détermination de périmètre, la mise en place de dispositifs de sécurité (caméras, patrouilles) et par la restriction d’accès aux aires de repos (bancs, abris, seuils). Par ailleurs, ces stratégies ont été accentuées depuis le milieu des années 2000 en réaction à la menace terroriste (p. ex. le plan Vigipirate en France déjà effectif en 1991, et l’opération Homeland en Belgique renforcée après les attentats du 22 mars 2016 à Bruxelles). Enfin, la criminalisation de la mendicité avec l’adoption de règlements communaux qui l’interdisent confirme cette orientation de l’action publique alors que la loi de 1993 [10] dépénalise le vagabondage et reconnaît la nécessité du traitement social des sans-abris par la prévention. [11]
Parallèlement et malgré les tentatives d’effacement, le processus de création et de différenciation de l’espace qu’implique le projet urbain ne font que reproduire et multiplier les marges où les conflits et les contradictions se manifestent, les inégalités se dilatent, de mouvements de personnes sans-abris apparaissent [Gottdiener 1985 ; Wright 1992]. Les sans-abris étant « out of place », leur présence devient un élément révélateur des plis des systèmes de pouvoir, là où des bouleversements se rendent possibles. Le projet du piétonnier ne semble pas reconnaître les marges, les nie, voire vise à les effacer par la normalisation de l’espace public via un design correspondant aux modèles internationaux de la ville évènementielle. Cependant, le processus d’aménagement et son caractère provisoire tel qu’il se présente aujourd’hui font que les marges sont rendues plus visibles et s’imposent d’autant plus à l’attention. La question est alors de comprendre si le projet du piétonnier est suffisamment ouvert aux différents usages potentiels en rendant possible l’utilisation des ressources nécessaires à une grande précarité dont on a vu plus haut que le phénomène est en forte croissance.
3. Pratiques de l’espace public du piétonnier
L’espace du piétonnier est habité aujourd’hui par les personnes qui n’ont pas un (autre) abri. La compréhension de l’ensemble de ces co-présences (sans-abris, chalands, habitants, travailleurs…) dans l’espace public constitue l’enjeu d’un projet urbain pour qu’il soit une ressource correspondant à l’ensemble des pratiques potentielles. Les réflexions qui suivent, issues des observations de terrain [12], visent à ouvrir des pistes analytiques et interprétatives qui puissent nourrir la réflexion autour du projet de piétonnisation pour que les mutations qui seront induites rencontrent les attentes et les besoins des sans-abris comme catégorie d’usagers et habitant l’espace public. À partir de ces quelques pistes d’analyse possibles, il s’agit d’approfondir les pratiques que ces personnes déploient au quotidien, les parcours qui en résultent et les autres ressources qu’ils mobilisent (et qui ne sont pas immédiatement visibles).
Le regard se concentre sur les espaces qui sont agencés par les personnes sans-abri pour dormir, en relation avec les ressources matérielles et immatérielles qui supportent/rendent possible cette pratique. La manière dont l’espace est investi par les sans-abris est lisible tout d’abord dans la matérialité des objets qui révèlent leur présence : des bouts de cartons, des matelas — le plus souvent de caoutchouc jaune —, des valises empilés dans un coin, des couvertures, des tentes, des bois qui font fonction de table ou de chaise, en l’occurrence un petit camping-gaz, des tapis, des parapluies. Garder ces objets et s’assurer que personne ne va s’en approprier, ne va pas de soi. Certains éléments constitutifs de l’espace public permettent de les cacher quand on doit s’éloigner, c’est par exemple le cas des armoires des concessionnaires qui sont placés à quelques 30-50 cm des façades et qui permettent de stocker les matelas, les cartons et les couvertures. C’est également le cas des bâtiments en cours de rénovation et plus spécifiquement des échafaudages, qui servent à la fois comme abri et comme étagère pour ranger les objets personnels. L’espace est donc mobilisé non pas seulement dans son horizontalité, mais aussi dans sa verticalité.
Tout élément du bâti pouvant offrir un abri de la pluie est privilégié pour organiser son espace de vie : dessous de balcons et terrasses, arcades, auvents, recoins des façades. La façade creuse du bâtiment de la poste/des finances entre le bd Anspach et la rue des Augustin, l’auvent du Beursschouwburg, l’auvent du Brico toujours sur le bd Anspach correspondent respectivement à la présence plus ou moins permanente d’une famille, d’un homme seul, d’un jeune couple.
D’autres éléments peuvent être mis en avant pour restituer davantage la complexité de ce cadre. La présence des services aux personnes sans-abri (asiles de nuit, centres d’accueil de jour, distribution de repas, douches, aide psychologique et médical, voir figure 1) est assez évidente sur tout le Pentagone, avec une concentration particulière aux alentours du piétonnier. Il en est de même quant à la localisation de fontaines et urinoirs. Comme plusieurs recherches ont montré, la géographie de ces ressources affecte indéniablement les pratiques et les parcours dans la ville des sans-abris [Langegger, Koester 2016].
Figure 1. Plan des services d’aide aux sans-abris et aux justiciables
Source : [La Strada, 2017]
L’espace autour de la Bourse et les commerces qui donnent sur la future place mérite une attention particulière. En effet, le Mc Donald’s dispose de toilettes en accès libre, une ressource fondamentale quand on est à la rue, tout comme la fontaine au coin du même bâtiment qui est souvent utilisée pour se laver au petit matin, quand encore peu de gens traversent le boulevard. Peut-on aussi mentionner des ressources immatérielles : pendant l’hiver 2017, le restaurant Exki s’est par exemple engagé dans une action « shared coffee » destinée aux sans-abris (figure 2).
Figure 2. Occupation Boulevard Anspach (Bruxelles, 2017)
Source : photographie Elisabetta Rosa, septembre 2017
Cet état des lieux ne fait que mettre en lumière l’importance de tenir compte des ressources que peut offrir l’espace public pour ses habitants précaires. Le cas de l’absence d’urinoir dans le projet d’aménagement du piétonnier est un des révélateurs du refoulement de ces marges [Corijn et al., 2016] même si les espaces publics aux alentours sont bien équipés. Néanmoins, s’abstraire des pratiques spatiales de la grande précarité en rendant invisibles les espaces de vie des marges ne résout évidemment pas les pratiques qui en découlent. Il est donc primordial de remettre dans le débat la place des marges dans le discours urbain comme droit à la ville et à l’habiter, sans que cela ne signifie de remettre en question l’accès à tous aux droits fondamentaux et notamment le droit au logement.[13]
4. Les articulations entre les marges et le projet urbain dans le cadre du piétonnier
La prise en compte des marges dans le projet urbain en général s’articule dès lors sur trois niveaux :
- le refoulement, afin d’éviter la présence de ce qui est considéré comme nuisance à l’attractivité des villes (pas de toilettes publiques, des entraves aux repos…) ;
- la tolérance de séjours, qui se matérialise par l’absence d’obstacles à l’habiter, mais sans mettre à disposition des ressources supplémentaires ;
- des solutions élaborées en projetant les besoins d’habiter des personnes en grandes précarités.
Ces traitements des marges ont en commun la difficulté de reconnaître, comme composante intrinsèque des usages possibles de l’espace public, les besoins des personnes vivant dans la rue ainsi que les espaces qu’ils pratiquent [14]. Cette non-reconnaissance conduit soit à nier par des stratégies sécuritaires le droit d’usage de l’espace public, soit à projeter des modes d’habiter à partir de construction de représentations qui sont en décalage avec les pratiques spatiales des sans-abris. Ces simplifications dans un sens ou dans un autre sont directement produites par les imaginaires que l’on mobilise qu’ils soient dans une vision marchande ou dans une vision politique. Elles font abstraction de la complexité ontologique. Cette complexité s’impose d’autant plus que la reconnaissance des capacités de jugement des sans-abris ainsi que l’acceptabilité de leurs compétences des pratiques spatiales urbaines a des difficultés à être opérée par les autres acteurs du projet urbain. La reconnaissance de ces compétences doit bien entendu être élargie aux travailleurs sociaux en contact avec les plus précarisés et qui apportent une grille d’analyse supplémentaire à la compréhension des pratiques urbaines. Les interstices du projet, comme la mise en place d’aménagement provisoire, révèlent des pratiques qui sont refoulées après hors du projet et donc non reconnues.
C’est précisément cette reconnaissance qui doit être mise au centre de la réflexion autour du projet urbain, quel qu’il soit et du piétonnier bruxellois en particulier. Cette prise en compte des marges signifie de reconnaître les sans-abris — ou « ceux qui n’ont pas de voix » — d’abord en termes ontologiques, en tant qu’individu et au-delà d’une catégorie unique –, ce qui amène après à les reconnaître aussi en termes politiques. Comment le projet urbain peut-il devenir un dispositif « capacitant » (capacité de pouvoir, cf. Donzelot 2008) plutôt qu’un instrument d’annulation des marges ? La capacitation s’articule ici de manière multiple et implique de s’interroger sur comment le projet urbain peut favoriser la rencontre, l’acceptation et la reconnaissance, d’une part, et d’autre part, produire des effets de contexte et des capacités d’actions pour les plus démunis dans leur rapport au territoire, dans une perspective d’autonomie et de réalisation de soi. Ce sont les questions qui se posent avec urgence.
Le projet urbain est la synthèse et la représentation de devenirs possibles de la ville. Les marges participent de ces devenirs, et c’est seulement à partir de leur reconnaissance en tant que ressource — vitale — que d’autres possibles peuvent être imaginés. Le projet urbain doit se remettre en question dès lors quant à cette reconnaissance et au droit à l’espace public pour l’ensemble des individus avec les besoins et les désirs qui leurs sont propres, et les ressources qui leurs sont nécessaires, voire indispensables.
Références
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ZENEIDI-HENRY, D., 2002. Les SDF et la Ville, géographie du savoir-suvivre. Paris : Breal.
[1] http://www.platformpentagone.be/
[2] Cette réflexion s’inscrit dans le cadre du programme de recherche brumarg — Bruxelles à travers ses marges. Les sans-abri entre transformations urbaines et pratiques de la ville, financé par la Région bruxelloise dans le cadre du programme INNOVIRIS-ATTRACT pour la période 2017-2020. Ce programme aborde la question de la compréhension des pratiques spatiales des sans-abris à Bruxelles et a pour objectif de guider des actions sur l’espace public urbain à partir des modes d’habiter de ces personnes dans une perspective inclusive.
[3] L’article 23 de la Constitution stipule que chaque Belge a notamment : le droit au travail et au libre choix d’une activité professionnelle ; le droit à la sécurité sociale, à la protection de la santé et à l’aide sociale, médicale et juridique ; le droit à un logement décent ; le droit à la protection d’un environnement sain ; le droit à l’épanouissement culturel et social.
[4] http://www.housingfirstbelgium.be
[5] Voir par exemple le projet Home for less des étudiants d’architecture La Cambre Horta http://archi.ulb.ac.be/actualites/2017-06-30/home-less.
[6] Centre d’appui au secteur bruxellois d’aide aux sans-abri (pour plus d’information, voir le site http://www.lastrada.brussels/portail/fr/). http://www.lastrada.brussels/portail/fr/).
[7] L’ensemble des résultats et leurs analyses sont disponibles sur le site : https://www.lastrada.brussels/portail/images/PDF/20161107-20170306_RAP_Denombrements_FR_BU20170616.pdf.
[8] Le centre comprend les quartiers de la Bourse, Grand-Place, Sainte Catherine.
[9] Dans le dernier dénombrement de La Strada on constate que l’accumulation des vulnérabilités liées au manque de revenu et au séjour dans l’espace public est plus fréquente dans le cas de personnes au statut de séjour irrégulier. Ces dernières n’ont pas droit aux allocations sociales, ni accès au marché du travail régulier. Le recours aux centres d’accueil d’urgence reflet cette situation : 69 % des répondants aux enquêtes ont un statut irrégulier, 64 % sont Européens, réfugiés reconnus, demandeurs d’asile et « autres », et 48 % belges. Derrière ces nombres se cache une question politique qui interpelle les faiblesses du système d’accueil des étrangers (Mondelaers 2017).
[10] Loi contenant un programme d’urgence pour une société plus solidaire 12 janvier 1993 http://www.ejustice.just.fgov.be/cgi_loi/change_lg.pl?language=fr&la=F&cn=1993011234&table_name=loi. Rappelons ici que le vagabondage est poursuivi depuis le Moyen Âge à travers des ordonnances qui s’adressent aux mendiants, aux oiseux, aux « mauvais pauvres ». La privation de la liberté pour mendicité et pour vagabondage se développe davantage au cours des 16e, 17e et 18e siècle, est sera formalisée à plusieurs reprises, notamment dans le Code pénal de Napoléon (1810) et dans le Code pénal belge de 1867. Ce dernier condamnait les personnes sans-domicile et sans subsistance à l’enfermement dans les Colonies de bienfaisance de l’État. Signalons également que les dépôts de vagabonds ont été créés sous le régime français en 1908 (Rekkem, La Chambre, Bruges, Hoogstraeten, Namur et Mons) et que la Société de Bienfaisance pour les Pays-Bas méridionaux a été fondée en 1822 et a mis en place les dépôts de mendicité de Wortel et Merxplas-Ryckevorsel (Cosemans, s.d.).
[11] En Wallonie plusieurs communes (Liège, Charleroi, Namur) ont déjà intégré depuis plus d’une décennie ou actualisés récemment les dispositifs règlementaires concernant la mendicité. Ce débat est sur la table à la Ville de Bruxelles depuis le printemps (voir http://www.lalibre.be/regions/bruxelles/s-attaquer-a-la-mendicite-par-une-interdiction-communale-n-est-pas-faisable-dit-yvan-mayeur-58fe587bcd70812a65a09a56).
[12] La recherche brumarg ayant démarré en mars 2017, il s’agit d’observations à caractère exploratoire et non-participant menées en différents moments de la journée et du soir entre avril et août 2017. Elles se focalisent sur la manière dont les différents espaces sont investis et transformés de par la présence des sans-abris.
[13] La tension entre droit au logement et droit « à l’espace public » est centrale à toute réflexion sur cette thématique : doit-on accepter la présence/existence de personnes vivant à la rue comme un fait social inéluctable et donc nous interroger sur comment rendre l’espace public habitable ? Ou alors ce phénomène ne devrait pas exister et l’action publique doit s’occuper principalement de le prévenir ? Notre position en tant qu’urbanistes est que l’une chose n’exclue pas forcement l’autre, et que cela est bien entre autres une question qui concerne l’urbanisme et l’aménagement de l’espace public.
[14] Il est intéressant à remarquer que la limitation de certains types d’usages de l’espace public concerne les personnes en condition de grande précarité, mais aussi d’autres populations vulnérables (p. ex. les personnes âgées ou malades). Il serait alors intéressant — ce que l’on se propose pour la suite de notre recherche — de mettre en tension les réponses qu’on développe à travers le projet urbain, d’une part essayant d’éloigner, de l’autre visant à favoriser l’accessibilité, l’accueil, la convivialité, etc.